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Compte rendu : Citadins et citoyens dans la Chine du XXe siècle.

Yves Chevrier, Alain Roux et Xiaohong Xiao-Planes (dir.), Citadins et citoyens dans la Chine du XXe siècle. Essais d’histoire sociale. En hommage à Marie-Claire Bergère. Paris, Éditions de la MSH , 2010, 604 p.1

Marie-Claire Bergère a consacré sa vie à enquêter sur la Chine urbaine du siècle dernier, et tout particulièrement sur la bourgeoisie shanghaienne. La perspective était celle d’une histoire sociale qui ne négligeait ni la dimension économique – l’histoire des entreprises – ni la dimension politique – la contribution des entrepreneurs à la construction d’un État moderne. Voilà un volume longtemps attendu qui rend hommage à l’une des historiennes françaises de la Chine les plus connues sur la scène internationale. Les contributions sont signées d’auteurs qui ont été ses collègues ou ses étudiants en France, en Grande-Bretagne, en Amérique du Nord ou en Chine. Comme il est d’usage dans ce type de publication, l’ouvrage compte une liste exhaustive de ses publications et plus de vingt pages de références bibliographiques relatives à l’histoire urbaine de la Chine moderne et contemporaine.

Le volume débute par un chapitre introductif long et touffu, signé d’Yves Chevrier, qui revient sur l’historiographie de la société urbaine chinoise. Il retrace bien entendu la trajectoire de l’historienne, depuis sa thèse consacrée à La bourgeoisie chinoise et la révolution de 1911 (1968) jusqu’à son Histoire de Shanghai (2002) en passant par sa contribution la plus connue, L’âge d’or de la bourgeoisie chinoise, 1911-1937 (1986). Y. Chevrier replace plus largement cette œuvre au sein de l’ensemble des travaux consacrés aux trois grands moments d’essor urbain de l’histoire chinoise : celui de Kaifeng et Hangzhou entre les X e et XII e siècles, celui de la fin du XIX e et du premier tiers du XX e siècle, et enfin la période contemporaine – qui intéresse d’autres disciplines. Partant du constat de l’absence en Chine d’une construction du politique comparable à celle qu’ont connue les sociétés européennes, il évoque les travaux fondateurs de Max Weber ou d’Étienne Balazs, révisés voire contredits par l’historiographie récente qui insiste sur le dynamisme de la société chinoise, comme sur celui du cadre politique. Il revient également sur la modification des conditions du métier d’historien de la Chine, conséquence de « la démaoïsation [qui] met un terme à l’isolement des chercheurs chinois tout en rendant les archives et le terrain accessibles aux chercheurs étrangers » (p. 59). Ce sont ces modifications qui ont rendu possible la multiplication d’histoires monographiques des villes chinoises. Enquêtant sur l’historiographie, Y. Chevrier montre l’élargissement de l’histoire sociale au cours des dernières décennies, notamment sous l’effet du tournant épistémologique des cultural studies, et met en évidence le « travail citoyen si particulier » (p. 98) qui a lieu dans les villes chinoises, ou comment, en l’absence d’institutions représentatives, le travail citoyen se déploie « entre des pouvoirs » (p. 299).

Les douze contributions qui suivent, toutes basées sur des matériaux jusque-là inexploités, plongent le lecteur dans l’épaisseur historique de la société urbaine chinoise du XX e siècle, selon un ordre chronologique. Une première partie est consacrée à la période qui va des tentatives de réformes institutionnelles conduites par le pouvoir impérial au début du siècle jusqu’à la fin des années 1920 et la réunification du pays sous l’autorité du seul Guomindang, après la rupture avec les communistes. Une seconde partie concerne les décennies 1930 et 1940.

Les auteurs, qui enquêtent sur Shanghai mais aussi sur d’autres régions (Tianjin, Canton, Xi’an, le Jiangsu rural) et sur d’autres périodes que les décennies 1910-1920, reprennent, confortent ou prolongent les diagnostics portés par M.-C. Bergère. Zhang Kaiyuan et Tian Tong à propos des élites du Sud-Est en 1911, Laurent Galy d’un activiste de Tianjin (1877-1943), Pierre-Étienne Will de personnalités progressistes de Xi’an (1905-1930) et Xiaohong Xiao-Planes d’une association d’entrepreneurs shanghaiens (1932-1937), tous donnent à voir la diversité des élites urbaines, leur dynamisme et leurs contradictions ; elles sont le plus souvent ouvertes aux idées nouvelles et partagent l’espoir d’un changement de régime. Ho Pui-yin conduit une prosopographie des élites marchandes de Canton et de Chaozhou et insiste notamment sur la dimension dialectale de leur identité et de leur activité économique. Wang Ju livre une contribution d’histoire économique consacrée au troisième âge d’or de l’industrie cotonnière shanghaienne (1946-1947), montrant l’exceptionnelle capacité des entrepreneurs à survivre et à prospérer dans un environnement politique pourtant bien peu favorable. Lucien Bianco, à propos de l’agitation paysanne dans la région de Shanghai durant la première moitié du XX e siècle, et Alain Roux, à propos des ouvriers shanghaiens en 1948-1949, montrent que la paysannerie comme le monde ouvrier sont protestataires mais faiblement révolutionnaires – une société dynamique mais un échec politique.

D’autres contributions mettent au jour des pans jusque-là ignorés de l’histoire shanghaienne. Bryna Goodman enquête sur la façon dont est perçue la spéculation boursière effrénée des années 1920-1922. Robert Bickers montre comme les résidents chinois de la Concession internationale participent de facto (sans droite de vote) à la vie locale et contribuent à faire de cet espace « une véritable communauté transnationale » (p. 232). Frederic Wakeman revient sur la composition et le comportement de la police chinoise, ainsi que sur son infiltration par les communistes durant la période 1942-1952. L’ouvrage s’achève par une enquête sociologique d’Isabelle Thireau et Hua Linshan sur la population migrante dans les années 2000 et l’évolution du système d’enregistrement (le hukou) : les auteurs montrent l’effacement du critère de la résidence, qui en constituait la base, au profit de l’appartenance à la ville ; la question de la citoyenneté prend donc aujourd’hui le pas sur celle de la résidence, sans que la signification de la première soit pourtant éclaircie.

Comme on l’aura compris, ce volume conduit un bilan raisonné d’une œuvre majeure et de ses prolongements, en même temps qu’il donne accès à des travaux innovants d’une riche épaisseur historique. Le lecteur sinophone regrettera néanmoins que la bibliographie finale soit essentiellement en langues occidentales et ne fasse pas assez de place aux publications chinoises de plus en plus nombreuses.

Gilles Guiheux

  1. Avant propos de l’ouvrage []
Jacqueline Nivard

Jacqueline Nivard

Jacqueline Nivard, Centre d'études sur la Chine moderne et contemporaine

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OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Jacqueline Nivard (21 décembre 2011). Compte rendu : Citadins et citoyens dans la Chine du XXe siècle. Carnets du Centre Chine (CNRS/EHESS). Consulté le 16 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/me64


Jacqueline Nivard

Jacqueline Nivard, Centre d'études sur la Chine moderne et contemporaine

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