« Les écologies politiques aujourd’hui. Chine »
Jean-Paul Maréchal (coord.), « Les écologies politiques aujourd’hui (5). Chine » Écologie & politique, n°47, 2013
Dans son introduction, Jean-Paul Maréchal (« L‘écologie politique en Chine ») rappelle quelques données bien connues au sujet du développement économique de la Chine. Entre 1971 et 2010, le PIB chinois a augmenté d’un facteur 27, avec une croissance moyenne annuelle de 8,8 % ; si l’on tient compte de l’augmentation de la population, le PIB par tête a été multiplié par 17 et la croissance annuelle a atteint 7,5 %. Désormais, la Chine est la 2e économie mondiale. La consommation d’énergie a bien sûr accompagné ce développement : de 1971 à 2010, elle est passée de 395 millions de tonnes d’équivalent pétrole à 2,469 milliards, soit une multiplication de 6,2 (inférieure à l’augmentation de PIB) ; de 7,1% du total mondial, elle se situe en 2010 à 19,3%.
Les estimations des décès qui seraient dus aux mauvaises conditions environnementales varient selon les méthodes de calcul ; mais la pollution extérieure causerait environ 350 000 à 400 000 décès par an, la pollution intérieure autour de 300 000 décès et la pollution de l’eau 60 000 décès. Des mouvements sociaux liés aux problèmes environnementaux sont en constante augmentation ; en 2005, 51 000 de ces mouvements (sur 87 000), soit 58%, auraient été liés à cette question. Dans cette situation, le numéro de la revue s’intéresse à l’émergence d’une « écologie politique » dans un contexte économique qualifié d’« autoritarisme de marché ».
Marie-Hélène Schwoob (« L’éveil vert de la société chinoise ? ») retrace l’irruption d’une « conscience environnementale » en Chine depuis vingt ans. Dès le milieu des années 1990, devant l’inefficacité constatée des mesures prises par le gouvernement central contre les différents formes de pollution, se développent des formes diverses de réponses de la société civile. Au milieu des années 2000, les organisations de protection de l’environnement étaient déjà plusieurs milliers, tandis que les mouvements sociaux se sont amplifiés ces dernières années. L’article évoque les mois d’été 2011, marqués par le soulèvement des populations contre des projets polluants, par exemple à Dalian (Liaoning), où finalement une usine de produits chimiques a dû déménager ; l’auteur revient aussi sur les manifestations violemment réprimées en juillet 2012, à Shifang (Sichuan) contre un projet d’usine de traitement des métaux lourds, projet finalement abandonné.
Monique Selim (« L’irruption de la nature à Canton ») étudie le devenir de groupes « écophiles » de Canton en suivant le parcours individuel de quelques membres d’organisations de défense de l’environnement qui se sont développées à Canton dans la seconde moitié des années 2000, avec un statut souvent paradoxal d’ONG en liaison étroite avec le gouvernement. Gwennaël Gaffric et Jean-Yves Heurtebise (« L’écologie, Confucius et la démocratie ») tentent d’une façon un peu rapide d’analyser le discours culturaliste et nationaliste sur une « pensée traditionnelle chinoise » en rapport avec la notion également revendiquée de « civilisation écologique ».
Richard Balme (« La justice environnementale comme équité ») étudie les évolutions concernant la législation, en lien avec l’action publique environnementale. La RPC dispose en matière d’environnement d’un cadre législatif comparable à celui des pays « développés ». Citons par exemple la création en 1998 du Guojia huanbao zongju 國家環保總局, en anglais SEPA (State Environmental Protection Administration), qui acquiert le rang de ministère en mars 2008, Huanjing baohu bu (et non hu, p. 65) 環境保護部 ; en 2003 est édictée une loi sur l’évaluation de l’impact de l’environnement, avec une référence aux « droits environnementaux publics et individuels » ; un centre d’assistance juridique aux victimes de la pollution est créé par le professeur Wang Canfa (et non Cangfa, p. 71) 王燦發 en 1998. L’auteur mentionne aussi un autre point important, la création de cours environnementales dans diverses provinces (Jiangsu, Yunnan, Fujian, Guizhou, par exemple), qui peuvent traiter des affaires civiles, administratives ou criminelles.
Les trois derniers articles abordent la position chinoise concernant l’environnement sur le plan international. Giulia Romano (« La Chine face au changement climatique : quelles(s) politique(s) ? ») s’interroge sur l’adoption d’une véritable politique climatique. L’auteur montre que, surtout depuis 2007, la Chine a mis en place de nombreux instruments pour lutter contre le changement climatique avec la fixation par le gouvernement central d’objectifs de réduction des émissions pour les différentes provinces et pour Pékin, Shanghai, Tianjin et Chongqing. Mais l’application concrète des mesures et les résultats constatés peuvent inciter à un optimisme moindre que celui affiché par l’auteur.
Jean-Paul Maréchal (« Pékin face au défi de l’élaboration d’un nouveau régime mondial ») analyse les raisons du refus de la Chine d’accepter des engagements contraignants au niveau international. Après avoir rappelé les données de base sur les objectifs qu’il faudrait respecter pour limiter l’augmentation de la température au cours du XXIe s. à 2°C, l’auteur étudie l’évolution conjointe des émissions de CO2 américaines et chinoises de 1971 à 2010. La Chine devient le premier émetteur de gaz carbonique en 2007, et ses rejets par tête ne cessent de croître, au point où certains experts prédisent qu’ils pourraient atteindre dès 2017 17,2 t, soit une chiffre supérieur à celui des États-Unis aujourd’hui (5,7 t pour la France). Or le seul instrument international juridiquement contraignant en matière d’émission de gaz à effet de serre est le protocole de Kyoto de 1997, entré en application en 2005. Mais les deux principaux pays émetteurs (et de loin), les Etats-Unis et la Chine, échappent aux obligations de ce protocole. Le premier ne l’a pas ratifié, tandis que la Chine, qui l’a signé, n’est tenue à aucun engagement dans la mesure où elle considérée comme un « pays en voie de développement ». Pékin soutient aussi régulièrement, de plus, que nombre de pays « développés » ont en quelque sorte délocalisé leurs émissions de gaz carbonique en Chine, en même temps qu’ils y organisaient à moindre coût la production de biens matériels.
Emmanuel Meneut, dans « La Chine et les technologies vertes : vers un dilemme de sécurité ? », rappelle que les deux derniers plans quinquennaux chinois (2006-2010 et 2011-2015) ont mis en place de très importants investissements dans le domaine des technologies propres (conversion éolienne et photovoltaïque) ; cette volonté s’accompagne d’une stratégie de sécurisation des terres rares (avec un contrôle strict de leur production), laquelle est souvent en contradiction avec les principes de l’OMC.
Le numéro propose enfin, en écho au thème principal du numéro, la traduction d’un très intéressant article de Mark Elvin (paru à l’origine sous le titre « Why Intensify ? The Outline of a Theory of the Institutional Causes Driving Long-Term Changes in Chinese Farming and the Consequent Modifications to the Environment » en 2009 dans S. Sörlin et P. Warde (dir.), Nature’s End. History and the Environment, Palgrave Macmillan, Basingstoke, 2009, p. 273-303). Mark Elvin y aborde la question de la pression fiscale sur les agriculteurs dans la Chine impériale et les conséquences de cette politique sur l’environnement. L’impôt étant principalement fondé (surtout à partir de la seconde moitié des Song) sur la surface de terre possédée, il était plus avantageux d’augmenter la production par unité de surface que de cultiver une surface totale plus grande.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Frédéric Obringer (19 mars 2014). « Les écologies politiques aujourd’hui. Chine ». Carnets du Centre Chine (CNRS/EHESS). Consulté le 7 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/meop